A méditer...
j'ai trouvé ce texte très interessant et qui dit mieux que moi ce que j'ai pu expérimenter dans mon travail, du coup je le copie ici à l'intention de tous les futurs graphistes que je connais.
Donc, un petit questionnement essentiel sur "le créatif" !
Propos de Jean Perret repiqué sur Admirable Design:
LE CRÉATIF : UN AUTEUR CONTESTÉ.
LES ORIGINES D’UN MALAISE
Depuis la crise des années quatre-vingt-dix, le statut
du créatif n’a cessé de décliner. Cette crise a imposé, dans notre
secteur, l’intégration technique de l’informatique et ses conséquences
parfois dramatiques. Le marasme économique plus la nouvelle technique
informatique ont radicalement changé l’image et le comportement du
créatif.
Avec l’ordinateur, l’activité créative a été démystifiée et
rabaissée souvent au niveau de l’exécution. Sa généralisation dans
l’entreprise, de la création à la comptabilité, a "désacralisé" le
créatif, cet emmerdeur qui détenait le monopole des idées et du goût.
Avec l’informatique, tout le monde peut avoir sa petite idée et la
faire exécuter par celui qui pratique Illustrator et Photoshop, le
rabaissant ainsi au simple rôle d’exécutant.
Parallèlement, les années de difficultés économiques ont
développé l’agressivité commerciale. L’attitude dictatoriale de celui
qui croit savoir comment fonctionne le marché s’est partout répandue.
Le commercial, réaliste-responsable, connaissant le terrain, a été
opposé à l’artiste, rêveur-irresponsable, ignorant la dure réalité
Mais pourquoi les créatifs n’ont-ils pas réagi ?
Mais pourquoi les créatifs n’ont-ils pas réagi ? Au cours des
années 90, il y eu, dans les studios, un séisme sociologique. Les
anciens, détenant les métiers traditionnels, n’ont pas vu arriver
l’ordinateur. Ils n’ont pas voulu s’y mettre, car la majorité niait la
qualité produite par lui. Que de discussion sur cette qualité
supérieure et irremplaçable de la typo traditionnelle par rapport à
celle produite par le Mac. Ce n’est qu’un exemple, parmi tant d’autres,
d’un débat qui est loin d’être clos.
Ces anciens ont donc été remplacés par des jeunes, peu ou pas du
tout expérimentés, mais sachant ou prétendant savoir ce servir d’un
ordinateur. Pour la première fois une génération remplaçait une autre
sans transmission, ni de savoir faire, ni de comportement (très
important). Ce n’était jamais arrivé depuis Gutenberg.
Chômage et... jeunesse.
Rien de tel ne s’est passé ni au commercial ni à la comptabilité.
Ceux-ci ont simplement jeté leurs vieilles machines à écrire et leurs
vieilles machines à calculer pour les remplacer par un matériel un
million de fois plus performant. D’ailleurs, ce changement de machines
est intervenu beaucoup plus tôt chez eux que dans les studios.
Le chômage de ces années là et la jeunesse des nouveaux venus ont
rendu la création plus docile et infiniment plus à l’écoute des avis
péremptoires des commanditaires. Dans le même temps, les commerciaux
devenaient plus agressifs pour les mêmes raisons de précarité d’emploi.
Leur formation continue, Essec ou autres, leur inculquait les attitudes
du combat et de la domination. Le discours était exactement l’inverse
de celui tenu dans nos écoles d’art appliqué où nous avons cherché,
pour des raisons d’adaptation au monde du travail, à ajuster toujours
plus la créativité aux contingences économiques en introduisant des
enseignants de discipline marketing. Je n’ai pas connaissance que des
écoles de commerces aient introduit des créatifs pour familiariser
leurs élèves avec les problèmes de création. On n’a ainsi dénié au
créatif une vision originale des problèmes et la possibilité de la
défendre.
Conséquence : il y a moins de créatif à la tête des sociétés de création.
Ils ont rétrogradé dans la hiérarchie derrière la direction
commerciale, le marketing et le stratège. Ils ne pensent plus leur
stratégie créative, ce rôle étant attribué, aujourd’hui, au fameux
stratège. Ce dernier point est le plus grave, car il réduit le rôle du
créatif à celui de l’exécutant. Mais le fond n’est pas atteint, dans
certaines agences de design graphique, les créatifs n’ont plus le
contact avec les clients, qu’ils n’ont même pas le droit d’appeler au
téléphone. Ils ont rarement l’accès au contrendu complet du test de
leur travail et doivent se contenter de l’interprétation résumée du
responsable commercial.
RE-CONSTRUIRE SON STATUT
Pour être positif, demandons-nous comment faire évoluer la situation. L’école a un rôle important à jouer, car l’école est la première concernée par une baisse du statut de ses élèves qui font aujourd’hui cinq ans d’études, autant qu’un ingénieur de Centrale. Cela concerne le design graphique qui a introduit le loup dans la bergerie (moi le premier), le design produit, et enfin toutes les branches créatives confrontées au marketing. On peut ne pas aimer le style de Renault, mais on ne peut pas lui nier sont originalité qui ne peut être que la marque d’un créatif, en l’occurrence celle de Patrick Lequément. Chez d’autres constructeurs on sentira trop l’influence marketing qui s’exprime par des rondeurs suspectes et des calandres "souriantes" (voir l’immonde Picasso). Les architectes eux se sont bien gardés de monter des services marketing, en quoi ils ont eu raison.
La notion d’auteur...
Il faut donc réaffirmer la vision du créatif, la déculpabiliser et
pousser les élèves à l’exprimer. Le bon apprentissage du savoir faire
est bien, mais ne suffit pas, il faut encourager l’originalité et donc
la création et l’innovation. Ne pas culpabiliser l’auteur d’un bon
projet ne pouvant pas, ni l’expliquer, ni le vendre. Souvent, un talent
sincère s’exprime mieux par l’image que par les mots. Laissons ceux-ci
à leur juste place et apprécions, à sa pleine mesure, l’originalité du
talent.
Il est nécessaire de remettre à l’honneur la notion d’auteur, car
seul le créatif est responsable de ce qu’il produit, sinon il n’est
qu’un mercenaire. Cette notion d’auteur, très bien comprise aux États
Unis, s’apprend même si elle est innée chez certains. L’affirmer à
nouveau décuplera la capacité créatice aujourd’hui bridée par le désir
de s’intégrer. Se considérer auteur d’un projet ne change pas seulement
son rapport à ce projet, mais change aussi l’évaluation de son travail
et le devis.
En cohérence avec cette notion d’auteur, nous avons, depuis des
années, développé chez nos élèves la faculté d’expliquer et donc de
vendre leur création. Cela partait d’un bon sentiment, mais nous n’en
avons pas vu l’inconvénient majeur : la possibilité donnée à des gens
ignorants du fonctionnement de la création, de remettre en question des
choix qui résultent d’une sensibilité souvent inexprimable et d’une
longue maturation artistique. C’est ainsi que l’autorité du créatif,
justifiée par son talent et de longues années d’étude, est discutée et
remise fortement en question.
Vision de créateur et techniques informatiques.
Pour reprendre un exemple dans l’industrie automobile, la DS
aurait-elle existé si les choix stylistiques du génial Bertoni avaient
été discutés et critiqués par le marketing de l’époque ?
En perdant son mystère, l’image du créatif s’est dégradée ainsi
que la nécessaire autorité de celui qui dessine et signe par là sa
qualité d’auteur.
Le créatif a une vision originale à défendre qui n’est jamais la
pâle copie du leader, ce qui caractérise, en général, la vision
marketing. En France, l’exercice de ce métier est encore plus difficile
qu’ailleurs, car il est plus jeune, a été importé d’Amérique et n’est
pas le reflet de nos mentalités. A peine installé, ce métier, dont les
professionnels avaient tant œuvré pour le faire reconnaître, était
remis en question par les nouvelles techniques informatiques.
Pour le retour du travail en équipe...
Ce n’est pas en France que le duo fécond “rédacteur-directeur
artistique” en publicité c’est formé, mais aux USA, imposé ensuite par
les grandes agences américaines qui s’installaient chez nous. Le
principe dualiste des mots et des images nous a été imposé malgré notre
sens de la hiérarchie et notre individualisme.
Il faut donc tenir compte de cette fragilité ajoutée au manque
d’esprit de corps qui caractérise nos élèves (que serait HEC sans les
anciens élèves d’HEC). Il faut réinvestir l’espace créatif,
l’informatique n’ést que la somme des techniques. Ne pas se laisser
réduire à la seule fonction infographique, l’exécution, mais rester une
force de proposition. Non seulement accepter, mais revendiquer sa
différence qui fait la richesse d’une équipe. Cultiver et développer sa
personnalité, vrai fond de commerce de l’artiste qui ne pourra pas,
comme l’élève d’HEC, s’appuyer sur son diplôme. Être jugé sur sa seule
production, plus ou moins récente, est une contrainte exigeante, mais
normale pour un créatif. C’est cela la responsabilité d’auteur et seul
l’auteur est définitivement responsable.
L’ESPACE DE CREATION.
Repensons nos espaces de création. Il faut s’autoriser
à réfléchir sur les conditions et l’organisation du travail, car
l’ordinateur développe la passivité et ne favorise pas le travail
d’équipe. Ce sentiment d’équipe n’existant plus, cela laisse, à des
sociétés, la possibilité de créer des espaces de travail digne des
bataillons de secrétaires des années trente aux États unis dans le
meilleur des cas ou ressemblant fort aux ateliers clandestins de
couture du Marais dans le pire des cas. Depuis l’avènement du Mac, les
créatifs n’ont pas vraiment réfléchi sur leur organisation de travail,
éblouis par l’instrument, ils n’ont fait que le subir.
Pour être efficace, il est préférable de ne pas être seul. Être
créatif est une dynamique qui demande de la force, du recul et d’autres
qui partagent les mêmes préoccupations. Il faut pouvoir s’exprimer
librement sans être constamment jugé. Il faut pouvoir rêver sans être
cassé. Il faut pouvoir se garder et ne montrer que ce que l’on veut
montrer à ceux qui ne partagent pas les mêmes responsabilités.
Pour cette raison, je m’inquiète d’une évolution que j’ai
constatée dans l’école, en arts graphiques, la présence grandissante
des PC et la diminution des Mac. En architecture, cela se comprend
puisque les logiciels importants n’existaient que pour PC, mais
l’architecture n’est pas, comme je l’ai dit plus haut, confrontée au
marketing.
Le design, graphique et produit, l’est dans ses propres
structures. Le Mac est un des moyens de marquer son territoire par
rapport aux gestionnaires et comptables qui sont dans le monde PC.
L’autre raison qui à mes yeux est moins importante, est que toute la
chaïne graphique, photograveur et imprimeurs, est équipée Mac.
Ce n’est pas un détail que celui qui permet d’affirmer sa
différence (question bien connue en marketing) et de favoriser la
nécessaire conscience de groupe, même si c’est bien peu par rapport à
la prise de conscience générale à effectuer.
LA STRUCTURE
On peut aussi repenser les structures et s’inspirer de
l’organisation appliquée par les architectes. De nouveaux exemples
d’organisations originales commencent à exister, elles répondent ainsi
à une demande de clients, férus de créativité et très bien pourvus
euxmêmes en marketing et de ce fait, ne supportant plus de ne pas
parler directement au créatif, à l’auteur du projet.
Le staut du créatif et ses conditions de travail ont toujours
fait parti de la réflexion et des revendications des membres de la
création avant l’arrivée de l’informatique. Tout a changé depuis, les
horaires, les équipes, l’espace, le statut... et les seules
revendications ont porté depuis sur l’actualité des logiciels. Il est
temps, aujourd’hui, de se réapproprier les moyens d’exister.
Oui, cette réflexion est élitaire, mais elle s’adresse aux
ambitieux, à ceux qui veulent exercer pleinement leur talent et sont
persuadés, que pour cela, il faut s’imposer et changer les rapports qui
se sont installés ces dix dernières années.
jean Perret